C’était étrange pour moi d’avoir autre chose à penser que mon métier et mes soucis. Depuis quelques temps, en effet, une personne était entrée dans ma vie et je devais faire avec ce changement plutôt conséquent. Les choses étaient compliquées, mais elles ne perdaient rien de leur intérêt, d’autant plus que ces sentiments nouveaux qui avaient pris place entre Junho et moi étaient encore… pratiquement inconnus pour moi. Cela ne faisait que quelques jours à peine, mais c’était déjà bien assez pour me permettre de me poser de nouvelles questions et de m’interroger sur ma manière d’agir. Allais-je savoir être là lorsqu’elle en aurait besoin ? Serais-je capable d’assumer les choses si jamais nous venions à avoir des problèmes ? Je ne savais pas réellement comment agir… mais je savais qu’au moi, ces problèmes ne viendraient pas de ses parents…

J’étais occupé à terminer de changer le pansement de la plaie d’un élève qui s’était malencontreusement blessé lors d’un cours de soin aux créatures magiques – le nouveau professeur semblait avoir quelques petits problèmes de colère et de gestion de ses créatures… ou alors le faisait-il exprès ?- lorsque Junho était entrée dans l’infirmerie. Le temps qu’elle arrive près de moi, cet élève était déjà reparti et, de ce fait, elle n’avait aucune crainte à avoir en me parlant, cependant j’aurais compris qu’elle s’inquiète, notamment parce que j’ignorais quoi faire en cet instant. Je l’écoutai cependant d’une oreille attentive en m’essuyant les mains à l’aide d’un chiffon étant donné que je venais de nettoyer soigner une blessure autrefois infectée.

Une fois que Junho avait terminé son explication, je lui adressai un petit sourire avant de hocher la tête, vérifiant à l’infirmerie que personne ne s’y trouvait encore car, dans ces lieux, tout le monde pouvait entrer à chaque instant. Quelques secondes plus tard, je reprenais la parole avec le même sourire.

« Pourquoi pas ? Techniquement je ne travaille pas maintenant. » Avais-je répondu.

J’avais décidé de venir travailler uniquement parce que cet élève était blessé assez profondément et nécessitait des soins quotidiens. De plus, il était difficile de changer ma nature qui, comme d’habitude, avait voulu que je m’acharne au travail pour oublier les nombreuses questions qui me tournaient dans la tête. Dans tous les cas, j’étais libre pour profiter d’un peu de temps en compagnie de Junho … ma petite amie. J’avais encore un peu de mal à placer ces mots sur son nom, mais petit à petit, je savais que cela viendrait.

Je souris un peu à Junho tout en me dirigeant vers l’endroit où je rangeais habituellement ma veste, ôtant celle que je portais déjà car, étant dans l’infirmerie, je portais ma tenue de travail et, quelques minutes plus tard, j’étais prêt à partir et je quittais l’infirmerie dans laquelle s’agitait à nouveau un autre membre du personnel qui se trouvait quelques minutes plus tôt dans l’arrière salle. Je m’assurais que Junho me suivait et, sans rien dire, je marchais jusqu’à l’extérieur du château, prenant ensuite la direction d’un endroit plus reculé où s’on serait relativement tranquille.

Je n’osais pas réellement la toucher car j’avais peur que nous soyons vus mais, au bout du compte, j’avais fini par trouver un endroit convenable et, quelques secondes plus tard, je l’avais prise dans mes bras, juste parce qu’elle m’avait manqué. C’était étrange car, quelque part, nous nous voyons incroyablement souvent à cause de mon travail et de son statut d’élève, mais jamais ce n’était dans le cadre de notre couple récemment formé. Pour cette raison, j’avais eu besoin de la serrer contre moi quelques secondes. Je lui adressai ensuite un sourire assez amusé avant de parler.

« Désolé, mais je n’ai pas pu le faire à l’infirmerie… »

Dans le fond, j’étais assez timide. J’avais beaucoup de mal à prendre des initiatives par rapport à Junho, notamment parce qu’elle était jeune, mais surtout parce que j’avais peur que mes agissements soient remarqués par les mauvaises personnes aux mauvais moments. Pour cette raison, je m’étais contenté de cette étreinte avant de lui sourire et d’enlever ma veste pour l’étendre sur l’herbe qui se faisait plus verte en cette saison, mais qui était encore humide. Je m’installai ensuite sur l’un des côtés de celle-ci, laissant une place pour Junho afin qu’elle n’ait pas non plus à se tremper pour pouvoir s’asseoir. Je lui adressai ensuite un regard en souriant à nouveau pour lui signifier qu’elle pouvait venir près de moi.

« Tu vas bien ? » Avais-je alors demandé.

J’étais assez heureux que Junho soit venue me chercher alors que j’aurais pu être en plein travail. J’avais désormais moins l’impression qu’elle cherchait à m’éviter, mais c’était assez normal étant donné la relation que nous avions depuis quelques jours. Aurait-il réellement été envisageable d’être un couple alors que l’un fuit l’autre ? Je souriais à cette idée qui, dans le fond, était totalement absurde. Je ne savais pas pourquoi je me posais des questions de ce type, peut-être était-ce simplement parce que j’étais totalement perdu dans mes pensées et, dans un sens légèrement euphorisé par ce qui m’arrivait ces derniers jours…

Depuis ces quelques jours, je ne pouvais pas réellement penser que les choses allaient mal se passer. Depuis que j’étais rentré au Japon, tout ne faisait qu’aller de mieux en mieux… cela avait même commencé depuis que Junho m’avait sauvé dans l’infirmerie. C’était un peu comme si quelque chose avait voulu me dire de continuer, que mon chemin n’était pas encore fini. Quelque part, je commençais à me demander si les kamis n’étaient pas de mon côté, s’ils ne commençaient pas à penser que j’avais subi trop de mauvaises choses ces dernières années… M’accordaient-ils enfin ce répit que j’avais toujours souhaité ? J’osais enfin l’espérer, grâce à Junho.

Dans le fond, cette jeune fille avait changé plus de choses en moi que j’aurais pu le penser. Aurais-je seulement osé penser à l’amour quelques mois plus tôt ? Aurais-je seulement cru la personne qui m’aurait annoncé que mon cœur allait battre pour elle ? Je n’en savais rien, mais j’avais encore envie de croire que, si les choses se produisaient comme cela, c’était parce qu’elles se devaient d’être ainsi… Je l’avais toujours fais pour ce désastre qui m’avait frappé étant plus jeune, j’avais toujours pensé que c’était ainsi et pas autrement, mais cela avait toujours été difficile. Désormais, je voulais penser que chaque personne méritait sa dose de malheur, de même que son bonheur… Peut-être le mien était-il enfin arrivé ?

Quand j’étais là-bas, au Japon, j’avais également voulu prier pour le bonheur de Junho. J’avais déposé une prière au temple, espérant que les kamis lui donneraient un peu de bonne fortune pour l’avenir. Je n’étais pas du genre à prier souvent, je ne l’avais jamais été, notamment parce que j’étais sorcier et que mes parents ne l’avaient jamais fait, mais je n’avais pas hésité une seule seconde lorsqu’il avait fallu poser les mots sur le papier pour demander un peu plus de chance pour Elle.

Une fois arrivé dans un endroit calme et un peu plus à l’abri des regards, j’avais serré Junho dans mes bras, souriant lorsque celle-ci renforçait un peu plus cette étreinte. J’étais heureux de savoir qu’elle était là, c’était amplement suffisant… Je savais que cela serait sans doute temporaire, mais jusqu’à ce que les choses changent, je me satisferais de celles-là. Je n’avais après tout pas réellement le choix puisque, même si je paraissais jeune, je n’étais pas moins adulte que n’importe quel autre professeur de l’école. D’ailleurs, je songeais à lui annoncer le mien un jour ou l’autre car, dans un sens, elle pouvait ne pas en être au courant et ne même pas en avoir une idée… Avec un peu de chance, ou de malchance, elle pensait que j’avais à peu près le même qu’elle et avait accepté mes aveux pour cette unique raison…

J’étais un peu effrayé à l’idée que quelque chose vienne perturber notre relation, mais je refusais de me l’avouer. J’étais bien trop heureux pour être soucieux de ce genre de choses actuellement, et je préférais passer quelques jours durant lesquels nous n’allions sans doute pas trop penser à cela plutôt que ruiner ma bonne humeur pour une raison aussi stupide que cela… Je savais que, dans quelques semaines, nous finirions par être un peu plus soucieux de cette relation… Quelques semaines, cela allait vite, et avec une différence d’âge comme la notre, cela risquait d’être assez difficile à vivre, pour l’un comme pour l’autre.

Je l’avais finalement lâchée pour m’installer sur la veste que j’avais déposée sur l’herbe. Je lui avais alors demandé comment elle se portait, espérant bien évidemment qu’elle allait bien car je n’avais pas réellement pu la fréquenter ces derniers jours à cause de mon travail. Il y avait parfois beaucoup à faire à l’école et, dans ce genre de situations, surtout après une longue absence comme la mienne, les choses étaient assez difficiles à rattraper.

Alors que mon regard était posé sur elle, je me rendis compte que, quelque part, je m’étonnais moi-même. Je n’étais pas du genre tactile, notamment à cause de ces habitudes japonaises que j’avais lorsque j’étais chez moi et, pour cette raison, je n’aurais peut-être jamais osé la serrer dans mes bras si je n’avais pas vécu quelques mois ici auparavant. C’était d’ailleurs troublant car, maintenant que j’y pensais, je n’oserais peut-être plus le faire aussi facilement. J’adressai un large sourire à ma petite amie lorsque cette pensée me vint à l’esprit, m’amusant de ma bêtise. Si elle n’avait pas bronché, c’était parce que cela devait être normal pour elle, même si cela m’avait moi-même perturbé légèrement.

Quand Junho se fut installée près de moi, elle répondit à ma question tout en me la renvoyant. Je souris un peu avant de lui répondre, un peu amusé par la fin de sa phrase.

«Je vais bien, et ne t’en fais pas pour moi. Il y a eu beaucoup de blessés cette semaine. Visiblement, le professeur de soin aux créatures magiques fait des siennes, tu l’as déjà eu ? »

Je lui avais posé cette question par pure inquiétude. J’avais entendu de nombreux élèves se plaindre de la manière dont il lui arrivait de donner ses cours, d’autres en revanche semblaient adorer ses méthodes. Dans tous les cas, j’espérais que Junho n’allait pas avoir de problèmes avec celui-ci, car je n’avais pas envie de la voir arriver à l’infirmerie avec la tête sous le bras.

Cette simple idée me donna un léger frisson et je détachais mon regard de Junho tandis qu’elle prenait les livres qu’elle avait emportés avec elle avant d’en ouvrir un. Je lui adressai un sourire lorsque celle-ci s’excusa, étant assez amusé par ces excuses soudaines.

« Non non, ne t’en fais pas. C’est important. »

Je me moquais bien de savoir qu’elle étudiait ou pas, tant qu’elle était à mes côtés en cet instant. Je n’avais pas envie de la voir rater ses évaluations sous prétexte qu’elle avait manqué d’étude ou d’autres choses stupides. Pour cette raison, même si elle le faisait tant que nous étions ensemble, je n’allais jamais la blâmer. Je lui adressai un simple sourire, reposant mon regard sur l’étendue verte sur laquelle s’élevait le château que nous pouvions bien évidemment voir sans aucune difficulté. J’espérais réellement qu’elle allait réussir son année, cela serait mieux pour elle.

Lorsque Junho releva la tête et me regarda pendant quelques secondes, je me retournai également, un regard interrogatif sur le visage, devinant qu’elle voulait parler et, quelques instants plus tard, elle me posait une question à laquelle je ne m’attendais pas. Si j’étais fort en cours ? Je n’y avais jamais réellement réfléchi, mais mes résultats de l’époque le prouvaient… À cette époque, j’étais fier et bien portant, je n’étais pas le garçon que j’avais été pendant des années à partir de l’incident… J’étais totalement différent. Ces souvenirs qui avaient longtemps été douloureux commençaient à laisser la place à de plus anciens, ceux qui me rappelaient que j’avais longtemps été heureux grâce à la magie, lorsque j’étais plus jeune et entouré de mes amis.

« Eh bien, je ne pense pas que j’étais « fort », mais je travaillais beaucoup et j’avais d’assez bons résultats. »Avais-je répondu en un sourire avant de relever mon regard vers le château, réfléchissant toujours à ce que je comptais dire. « Je voulais devenir un grand sorcier et aider les autres. »

J’avais tellement souvent souhaité être un médicomage ou un auror lorsque j’étais jeune… En reparler maintenant me rendait nostalgique. Quelque part, j’aurais aimé aider Junho, mais j’avais peur de ne pas être capable de lui expliquer les choses comme je n’étais pas en état d’utiliser une baguette magique… J’avais toujours aussi peur de me blesser.

« Si tu as besoin d’aide, demande-le moi, je verrai si je peux t’expliquer. Avec un peu de chance je n’ai pas tout perdu. »

Voir Junho travailler à côté de moi me faisait ressentir une certaine nostalgie. Je n’avais plus étudié la magie depuis des années désormais et pourtant j’étais effrayé. Je ne savais pas si des changements existaient désormais, si de nouveaux sorts avaient été inventés ou si de nouvelles créatures avaient été découvertes. Quelque part, je me rendais seulement compte du point auquel j’avais oublié des choses. Cependant je ne m’en sentais pas mal et me contentais de penser à autre chose. J’étais avec Junho, le moment n’était pas à penser au passé et aux choses négatives qu’il contenait.

« Tu as raison. » Avais-je répondu en riant lorsqu’elle m’avait dit qu’être infirmier me permettait aussi t’aider les autres.

Quelque part, elle avait raison, c’était peut-être pour cette raison que j’avais décidé de m’engager sur cette voie, même incapable d’utiliser la magie. Cette pensée m’arracha un sourire. Peut-être n’aurais-je jamais fait sa rencontre si j’avais décidé de continuer dans la magie, si cet évènement n’avait pas été présent dans ma vie... Était-ce finalement un mal pour un bien ? Je l’ignorais mais je n’arrêtais plus d’y penser maintenant qu’elle avait soulevé ce détail… J’étais heureux avec elle en cet instant, même si nous ne faisions que discuter sur l’herbe de l’école… C’était déjà tellement important à mes yeux.

« Je ne regrette pas ce que je fais maintenant. » Avais-je continué tandis qu’un sourire se dessinait sur mon visage.

J’étais passionné par ma profession, même si parfois les plaies étaient horribles. Je ne mentais donc absolument pas lorsque j’annonçais cela à Junho. Je n’avais pas de regret, même si j’avais envie de tenter de me relancer dans ma voie… Je ne me sentais pas prêt à utiliser la magie, mais de temps à autre je venais à me demander si je n’aurais pas mieux fait de recommencer à utiliser la magie. Je souriais sincèrement et, au bout d’un moment, une question me vint à l’esprit : Junho avait-elle déjà utilisé ma baguette ? Je ne lui aurais pas demandé car je ne jugeais pas cela utile, mais peut-être aurait-ce été plus intelligent de ma part qu’attendre sagement qu’elle me donne la réponse sans y réfléchir.

Au bout d’un moment, je lui avais proposé mon aide, espérant qu’elle me le dirait si jamais elle en avait le besoin. Je ne voulais pas l’embêter, ni même la forcer à m’écouter… Du coup, j’avais préféré proposer et attendre de voir si elle se décidait à requérir mon aide ou si elle préférait s’enfoncer toute seule si jamais elle avait des difficultés. J’aurais été un peu blessé en fait si elle ne m’avait pas avoué ses problèmes… M’enfin, peut-être n’en avait-elle pas en fin de compte. Je ne devais pas m’inquiéter autant sans raison, je n’étais ni son père, ni sa mère, ni son meilleur ami… j’étais son petit ami.

Après qu’elle m’ait répondu, je gardai le silence durant quelques longues secondes, réfléchissant à une manière de l’aider plus que je ne le faisais déjà. J’avais étendu mes jambes sur l’herbe humide et je souriais un peu. Je ne me souciais pas réellement qu’elles soient mouillées, après tout je n’étais pas ennuyé si mon pantalon se retrouvais légèrement humide, et quelque part cela me faisait du bien : j’avais passé la matinée debout à m’agiter dans tous les sens pour les élèves maladroits qui se blessaient… même si je n’aurais pas du puisque j’étais en congé.

J’étais tellement perdu dans mes pensées que je n’avais pas vu Junho arrêter de lire et je la vis seulement tomber en arrière, me demandant si elle ne s’était pas fait mal. Je sursautai un peu, entendant sa voix, et je ne pus m’empêcher de rire lorsque je vis son expression. Elle avait du oublier que l’herbe était humide au moment où elle avait décidé de s’y laisser tomber comme elle l’avait fait. C’était assez amusant en fait et je ne pouvais m’empêcher de sourire à ce que je voyais.

« Tu es fatiguée ou tu n’as simplement plus envie de travailler ? »Avais-je demandé avant de me laisser tomber sur le dos, tournant ensuite le visage vers Junho pour la regarder en souriant.

Mon regard rieur restait bloqué sur elle tandis que je réfléchissais à nouveau. Sa fatigue ressemblait tellement à une excuse que je n’avais pas pu m’empêcher d’en rire un peu. Je tournai finalement la tête vers le ciel avant de pousser un petit soupir, j’étais bien trop âgé par rapport à elle et je m’en voulais pour cela…

Comment aurais-je pu ne pas rire face à ce que Junho venait de faire ? Elle avait semblé réellement soulagée de s’allonger puis, d’un coup, avait fait une expression étrange. Décidément, elle arriverait toujours à m’arracher un sourire, même involontairement. Je n’arrivais d’ailleurs pas à m’empêcher de rire lorsqu’elle me demanda de ne pas me moquer en me poussa un peu en appuyant sur mon épaule. C’était tout bonnement impossible tant je trouvais la situation amusante… et son expression encore plus.

« Moi ? Jamais. »Avais-je répondu en tentant finalement de ne plus rire d’elle comme je l’avais fait.

Je m’étais finalement installé dans l’herbe comme Junho l’avait fait un peu plus tôt et lui avait posé une question qui, c’était vrai, pouvait s’avérer assez ennuyeuse pour une élève qui n’avait pas envie de travailler. Sa réponse approximative me confirma bien évidemment ce que je pensais et je ne pus m’empêcher de sourire un peu plus face à cette réponse assez évasive. Je restais donc allongé dans l’herbe à la regarder pendant quelques secondes avant de tourner la tête vers le ciel pour l’observer, un léger soupir m’échappant au même instant.

Quelque chose vint se poser sur ma joue. Je ne mis pas longtemps à comprendre qu’il s’agissait de l’un des doigts de Junho et cela m’arracha un petit sourire même si j’étais plongé dans mes pensées. Oui j’étais heureux, oui je l’aimais, mais je ne cessais de me poser des questions à son sujet, sur la manière dont je devais agir et sur les choses que je ne devrais en aucun cas refaire si je revivais les même situations.

La question qu’elle me posa au moment où elle venait de retirer son doigt de ma joue me fit un peu sourire. Est-ce que cela se voyait à ce point, que je réfléchissais ? Je tournai la tête vers elle en la toisant pendant quelques secondes sans rien dire, lui adressant finalement un sourire en lui adressant la parole : je devais être honnête envers elle, non ?

« Je me demandais juste si tu connaissais mon âge… J’ai réalisé que je ne te l’avais jamais dit… » Avais-je répondu en souriant un peu.

J’avais beau sourire, je me posais toujours autant de questions et, pour cette raison, je décidai de continuer, au cas où elle n’aurait pas été au courant de ce que je voulais lui dire…. Ou plutôt de ce que je devais lui dire depuis un moment sans l’avoir jamais fait.

« J’ai 24 ans. »Avais-je annoncé avant de reposer mon regard sur le ciel pour pousser un nouveau soupir. « Je réfléchissais simplement à ça… Car je pensais que tu devais quand même le savoir. »

Quelques secondes plus tard, j’étais à nouveau perdu dans mes pensées. Heureux, mais effrayé de ce qu’elle pourrait penser.. Peut-être que, maintenant qu’elle connaissait mon âge, elle changerait d’avis par rapport à moi ? Peut-être qu’elle allait se lever et partir de peur d’avoir un problème avec moi ou avec un surveillant de l’école ? J’étais réellement anxieux, mais c’était normal dans ce genre de situations. Il n’était pas donné à tout le monde de tomber amoureux… et il était encore plus rare de tomber amoureux en ayant une si grande différence d’âge… J’aurais voulu être bien plus jeune en cet instant.

Je fermai les yeux au bout de quelques secondes et, quand je les ouvris à nouveau, je m’étais replacé de manière à regarder Junho. Je saisis finalement sans main sans rien dire, n’osant pas réellement la regarder dans les yeux et, quelques secondes plus tard, je m’approchais d’elle pour la prendre dans mes bras sans rien dire. J’avais toujours peur de la perdre du jour au lendemain, comme j’avais perdu Mika quelques années plus tôt… j’avais beau avoir changé, certaines craintes et certains réflexes resteraient gravés en moi pendant longtemps…

« Je t’aime. »Avais-je murmuré tandis que je la tenais contre moi.

Ne pas me soucier de mon âge par rapport au sien aurait été un véritable manquement à mes responsabilités. Je devais m’inquiéter de ce genre de choses pour prouver que j’étais capable de m’occuper d’elle. Quelque part, j’avais beaucoup plus de responsabilités envers elle que si elle avait eu un petit ami de son âge… J’étais un adulte, tout ce qui pouvait lui arriver en ma compagnie était donc de ma faute, que je le veuille ou non. Je fermai les yeux pendant quelques secondes après lui avoir exprimé ce qui me troublait et, quelques minutes plus tard, je l’avais serrée contre moi, un sourire se dessinant sur mon visage qui lui était alors invisible.

Combien de temps durerait ce bonheur ? Combien de temps pourrions-nous nous aimer avant d’être découverts ? Serions-nous jamais découverts ? J’avais peur de la réponse à cette question… Si nous venions à la connaissance des plus hautes autorités de l’école, je risquais gros pour ma carrière. Elle ? Je n’en savais rien… j’ignorais si elle était de sang « pur », à mon instar, ou si elle possédait un sang mixte comme nombre de ses camarades à l’heure actuelle… J’avais réellement peur de lui attirer des problèmes en l’aimant, mais je ne pouvais pas m’en empêcher pour la même raison… je l’aimais.

Lorsqu’elle me répondit, quelques secondes après le début de notre étreinte, je laissai un large sourire se dessiner sur mon visage, sans rien dire pendant un moment, me contentant juste de poser ma main sur ses cheveux en fermant les yeux. J’aimais la serrer contre moi, même si j’avais peur du moment où d’autres ressentis se mêleraient à l’amour… Je ne cessais de penser à cela, notamment parce que, là encore, la différence d’âge que nous avions jouerait un rôle très important dans les choix à faire… et les raisons pour lesquelles ces choix seraient faits.

Je m’étais finalement adressé à elle d’une voix amusée.

« Si tu es vraiment fatiguée, tu peux dormir, je suis là. »

Cette phrase avait plusieurs sens à mes yeux… J’étais là pour empêcher quiconque de la réveiller ; j’étais là pour empêcher les gens de découvrir qu’elle était une femme ; j’étais là pour empêcher les surveillants de nous découvrir ensemble… mais surtout pour les empêcher de découvrir notre relation. En fin de compte, j’étais très présent pour Junho, peut-être trop ? J’avais réellement peur de l’étouffer en voulant la protéger… J’en devenais anxieux… mais c’était simplement parce que je l’aimais et que j’avais peur de lui faire de la peine…

Je me mis ensuite à hauteur de Junho, la serrant toujours dans mes bras et je posai mon front contre le sien, les yeux toujours fermés. J’étais vraiment bien là, allongé sur l’herbe, la serrant dans mes bras… Elle pouvait définitivement s’endormir là, je ne lui en voudrais pas de dormir un peu… mais je craignais un peu de m’endormir, moi aussi, maintenant qu’elle avait évoqué cette possibilité la concernant. Je souris un peu avant de l’embrasser très tendrement, du bout des lèvres, juste parce que j’avais soudainement eu envie de ce contact.

« Repose-toi un peu si tu le veux. » Répétai-je ensuite, sans la lâcher une seule secondes.

Je renforçai quelque peu notre étreinte après ces quelques mots, calant ma tête contre son épaule. Et alors, sans rien ajouter, je reprenais ma réflexion... Je devais arrêter de m’en faire, elle me l’avait dit elle-même… je devais être heureux et penser à notre amour naissant, rien de plus… C’était difficile de réaliser que quelqu’un m’aimait pour de vrai…

Je n’avais jamais été du genre à chercher les problèmes durant mon enfance. Maintenant encore, j’étais de nature à vouloir les éviter ; malheureusement, ceux-ci semblaient attirés vers ma personne comme des mouches par un filet de miel, et je ne pouvais que subir les conséquences de cette malchance qui me touchait. Je n’aimais pas avoir des ennuis, mais j’étais obligé de vivre avec ceux que je croisais, et j’étais même forcé à vivre des situations qui auraient pu me porter dans les ennuis si je n’apprenais pas à les gérer correctement. C’était le cas avec Junho, je devais sans cesse réfléchir à mes mots et à mes gestes si je ne voulais pas avoir de problèmes, même si ses parents n’étaient plus en mesure de m’attirer des ennuis désormais…

Ce genre de détail, aussi insignifiants eussent-ils pu sembler, étaient bel et bien capables de ruiner les moments de bonheur que je vivais, comme ils l’avaient toujours été d’ailleurs. J’avais souvent accordé bien trop d’intérêt à des choses qui n’en auraient mérité aucun, j’avais eu de la peine pour des détails qui n’auraient pas du me faire de mal et, au final, j’avais perdu bien trop de temps à m’inquiéter de choses inutiles. Désormais, je devais profiter de ce bonheur qui m’était offert, profiter de l’amour que je ressentais envers Junho et de ces moments où j’étais simplement heureux, où j’oubliais tout ce qui m’entourait pour ne penser qu’à elle et essayer de la rendre heureuse à son tour.

Sans doute aurais-je été attristé d’apprendre qu’elle dormait toujours aussi mal maintenant, sans doute aurais-je également été malheureux si j’avais appris qu’elle n’allait pas bien, surtout si elle ne me l’avait pas dit. Cependant, pouvais-je réellement lui reprocher de s’entourer d’un tel voile de secret ? Je n’avais pas d’autre choix que d’accepter la réserve qu’elle plaçait sur sa vie et attendre qu’elle décide de se confier un peu plus, d’elle-même. Je ne devais en aucun cas lui réclamer des explications, car peut-être qu’elle allait toujours refuser de me les donner si j’opérais ainsi. Tout ce que je pouvais faire, c’était la garder dans mes bras et profiter de sa présence dans l’espoir qu’elle estime un jour que je valais la peine qu’elle s’ouvre un peu plus à moi et m’en dise un peu plus sur son passé et la personne qu’elle était dans le fond.

En surface, elle semblait réellement solitaire, fatiguée et un peu triste, cela depuis que je la connaissais ; elle se faisait passer pour un homme, laissant entendre à qui le découvrait qu’elle agissait ainsi pour faire plaisir à son père… Je ne pouvais que me questionner sur la véracité de cette apparence qu’elle renvoyait aux autres. Était-elle réellement ainsi, dans le fond ? Je n’en savais rien, mais je savais que je l’aimais, qu’elle soit comme cela ou autrement, j’étais tombé amoureux d’elle et non pas d’une autre fille. D’ailleurs, je ne cessais de me poser des questions sur la relation que nous avions commencée… Allait-elle durer ? Je l’espérais réellement, même si je ne pouvais que savoir à quel point cela serait difficile par moment… Il y aurait forcément des situations dans lesquelles nous allions vouloir être ensemble sans pouvoir le faire… Je ne pouvais qu’y penser... mais j’y pensais bien trop.

J’avais proposé à ma petite amie de dormir là si elle le voulait étant donné qu’elle m’avait averti de ce risque un peu plus tôt. Je n’avais réellement rien contre cette idée puisqu’elle avait l’air fatiguée et que je n’aurais pas voulu devoir la traiter pour un manque de sommeil. Je ne savais que trop bien à quel point il était difficile de tenir une journée complète sans dormir lorsque l’on est déjà fatigué, alors si elle avait des problèmes de sommeil, je ne pouvais que la comprendre et lui offrir cette possibilité de se reposer un tant soit peu. J’avais finalement souri au moment où elle s’était excusée de dormir : elle n’avait pas à s’en vouloir, je lui avais proposé de dormir un peu, ce n’était pas pour qu’elle me fasse des excuses inutiles.

Quelques minutes plus tard, je pus entendre à sa respiration assez lente qu’elle s’était endormie. Je souris un peu plus, repartant dans mes réflexions tandis que je regardais l’herbe qui se trouvait juste devant moi. J’aurais pu passer ma journée là rien que pour qu’elle puisse dormir, rien qu’en l’ayant contre moi… J’étais réellement heureux qu’elle soit là, avec moi, et non pas perdue dans un couloir, à trainer dans la poussière sans rien faire… Cela m’arracha un sourire un peu plus large tandis que je réfléchissais à tout cela et à toutes ces choses que nous avions déjà vécues jusqu’à ce jour… C’était réellement effrayant de voir à quel point les choses étaient allées vite pour nous…

Alors que je la pensais profondément endormie, un marmonnement attira mon attention. L’observant quelques secondes d’un air interrogateur, je compris assez rapidement qu’elle n’était qu’en train de rêver, ce fut du moins ce que je pensais jusqu’au moment où je sentis sa main sous mon haut, contre mon dos, qui me serrait contre elle un peu plus fort alors qu’elle semblait chercher à se réfugier contre moi. Était-elle en train de faire un cauchemar ? Je réfléchis quelques secondes à quoi faire, ne me sentant pas réellement bien à l’idée de devoir la réveiller en cet instant, mais après une bonne réflexion, cela valait peut-être mieux que de la laisser faire ce mauvais rêve plus longtemps…

« Junho ? Réveille-toi. » Avais-je laissé échapper tandis que je l’éloignais un peu de moi histoire de l’agiter légèrement pour qu’elle se réveille.

Une fois que celle-ci eut ouvert les yeux, je m’adressai à elle d’une voix inquiète, cherchant son regard du mien.

« Tu as fait un mauvais rêve ? »

Je m’étais senti mal à l’idée de devoir réveiller Junho alors qu’elle venait à peine de s’endormir, cependant, je n’avais pas réellement eu le choix : c’était cela ou la laisser faire de mauvais rêves, ce qui n’était selon moi pas la meilleure des deux solutions. Je l’avais très légèrement secouée en prononçant son nom, espérant qu’elle m’entende et se réveille comme elle l’aurait sans doute fait si je l’avais laissé faire son cauchemar… Quand j’avais posé mon regard sur elle, celui-ci était empli d’inquiétude, et l’on ne voyait que trop bien à quel point je ne pouvais pas supporter de la voir ainsi. J’avais un peu mal pour elle, mal de la savoir avec de telles difficultés à dormir, même si je savais qu’elle n’y pouvait absolument rien… Je ne voulais pas qu’elle fasse de cauchemars… Elle ne pouvait de toute façon pas profiter d’un sommeil réparateur de cette manière.

Ce qu’elle m’avait dit quelques secondes après ma question me glaça le sang. Cela me rappelait étrangement ces cauchemars que je faisais fréquemment pendant une période, un peu moins souvent désormais, dans lesquels je voyais mes amis tomber les uns après les autres de la baguette de cet élève totalement fou qui s’était toujours désigné comme un ami… Je ne pouvais que comprendre à quel point ce genre de rêves étaient douloureux et empêchaient de dormir. Pour cette raison, ma mine s’était légèrement assombrie tandis que je réfléchissais… Pouvais-je faire quelque chose pour l’aider ?

Lorsqu’elle m’expliqua que cela lui arrivait souvent, ma mine se fit encore plus inquiète. Réalisait-elle à quel point je me sentais concerné par ce qui lui arrivait ? Je savais qu’il était fréquent de faire de mauvais rêves, tout comme faire des rêves était vital… je le savais, cela aussi, mais j’ignorais que ceux de Junho l’empêchaient de dormir à un tel point. Cependant, même si le problème des rêves était à traiter en premier, sa réflexion précédente avait éveillé ma curiosité.

« Tu as vu ton père mourir ? Je veux dire... en dehors de tes cauchemars ? » Avais-je demandé d’une voix hésitante.

Je m’en faisais beaucoup pour elle, même si elle ne le réalisait pas. Peut-être était-ce parce qu’elle était ma petite amie ; peut-être était-ce parce que j’étais infirmier ; peut-être parce que je ne comprenais que trop bien ce qu’elle pouvait ressentir à l’idée d’avoir vu mourir une personne comme un parent ou un ami… Je ne savais pas réellement comment lui faire comprendre que je voulais qu’elle se confie à moi un peu plus qu’elle ne le faisait là, mais en tout cas je n’osais pas lui demander directement de m’expliquer ce qu’il s’était passé…

Quelque part, j’avais peur de découvrir des choses horribles sur son passé, des choses qui auraient pu me donner envie de l’aider sans que je puisse le faire… J’avais peur de ce qui était arrivé lorsqu’elle n’était pas encore à l’école ou, du moins, lorsqu’elle avait été avec son père… Je savais que ses parents étaient morts, mais j’ignorais jusque là qu’elle avait vu l’un d’eux mourir… Peut-être les deux ? Dans tous les cas j’angoissais à l’idée de l’apprendre, même si une autre part de moi voulait des réponses au sujet de cette énigme vivante qu’était Junho.

J’aurais pu la questionner pendant des heures sur son passé, les choses que j’aurais voulu savoir d’elle, mais cela ne se faisait pas, même en tant que petit ami… Pourtant, elle m’avait demandé beaucoup de choses, et je lui en avais confié beaucoup d’autres lorsque je lui avais cédé mon journal, mais j’ignorais comment lui faire comprendre que j’avais envie de la sentir un peu plus confiante envers moi. Nous étions bien l’un avec l’autre, mais cela allait-il durer ? Désormais, j’avais peur que sa méfiance revienne et qu’elle ne me fasse plus confiance… N’avait-elle pas cru que je l’avais abandonné lorsque j’étais rentré voir ma famille au Japon ?

Une nouvelle crainte venait de germer dans mon esprit, une mauvaise impression, comme si j’avais peur que tout aille trop bien en cet instant… Et si je venais à la perdre ? Et si je tombais malade soudainement et perdait ma capacité à vivre normalement ? Si jamais je mourrais soudainement sans avoir le temps de lui dire au revoir ? En ces temps agités, c’étaient là des choses plutôt courantes, à mon grand malheur, et je ne cessais d’y penser à cause de cette simple phrase de sa part…

J’avais fermé les yeux pendant quelques secondes, et secoué très légèrement la tête pour oublier ces pensées sombres et agitées que je venais d’avoir. Je ne voulais plus penser à mal, juste vivre cet instant en compagnie de Junho sans penser aux choses néfastes de ma vie passée et future, mais j’avais encore beaucoup de mal à le faire, même si j’avais bien changé depuis quelques temps… grâce à elle.

« Tu as déjà pensé à utiliser une pensine ? » Avais-je soudainement demandé tandis que je reportais à nouveau mon regard sur le ciel et les nuages qui se promenaient lentement dans celui-ci.

Je n’avais pas voulu m’en servir lorsque j’étais plus jeune, car je n’avais pas envie d’oublier les visages de ces gens que j’avais tellement aimé, je n’avais pas envie d’oublier leurs visages et encore moins des parties de ma vie, aussi douloureuses soient-elles… Mes parents m’avaient blâmé pour cela, mais il était clair que j’avais toujours été une tête de mule… Désormais, je regrettais amèrement de ne pas l’avoir utilisée plus tôt, avant que tout cela ne me pourrisse l’esprit et la vie… Après tout, j’avais failli mourir à cause de ces souvenirs empoisonnés… à cause de ma propre personne…

Un profond soupir s’était échappé d’entre mes lèvres tandis que je suivais du regard l’un des nuages. J’étais de nouveau allongé sur l’herbe et, quelque part, cela me détendait… Je passais tellement de temps debout, à l’infirmerie, que j’en avais mal partout… notamment parce que j’en faisais bien trop pour mon propre bien.

Je ne pouvais m’empêcher de penser à Junho et à ce que nous vivions ensemble en cet instant. Je souriais, j’étais heureux avec elle, mais je ne cessais de me questionner sur ce qu’elle faisait, sur ce dont elle rêvait et sur ce qu’elle pensait réellement de moi. Oui, j’avais peur qu’elle se désintéresse et se tourne plutôt vers un garçon de son âge plutôt que vers l’adulte que j’étais malgré tout… je fermai les yeux quelques secondes en y réfléchissant lorsqu’elle me dit qu’elle passait le plus clair de son temps avec son père, je poussai un petit sourire… c’était pour cela qu’elle restait toujours seule ? Pourquoi toujours passer son temps avec une seule personne et ne pas s’ouvrir aux autres ? Son père était-il un tordu à ce point là ? Je réfléchissais de trop et je devais arrêter.

C’est simplement parce que je voulais la protéger et l’aider que j’avais évoqué la possibilité d’utiliser une pensine. À son refus, je baissai un peu les yeux et poussai un léger soupir. Je regardais toujours le ciel, réfléchissant à ce que j’allais pouvoir lui dire.

« Moi non plus je ne voulais rien oublier… » Avais-je soufflé tandis que je regardais le ciel.

Elle savait parfaitement où ce refus m’avait mené. J’avais tenté à plusieurs reprises de mettre fin à ma vie… Deux au moins… C’était triste, mais c’était un peu comme si j’avais fait un choix inconscient au moment où j’avais décidé de ne pas utiliser la pensine comme on me l’avait à de nombreuses reprises conseillé. Je fermai les yeux, poussant un nouveau soupir tandis que je réfléchissais à nouveau… Je ne voulais pas la laisser prendre le risque de se blesser comme je l’avais fait… Se blesser moralement, je voulais dire.

Alors que je comptais m’adresser à nouveau à elle, Junho m’avait parlé de sa mère qui l’avait abandonnée. J’avais poussé un profond soupir, réfléchissant à ce qu’elle venait de me dire. C’était pour cela qu’elle avait peur que je l’aie abandonné ? Dans tous les cas, je comprenais qu’elle avait dit ça pour me faire changer de sujet… Je décidai donc de respecter ce choix : je reviendrais sur le sujet un autre jour, dans un moment plus approprié peut-être ? Je ne savais pas si j’avais raison de m’acharner, mais je le faisais pour son bien…

J’avais finalement repris la contemplation du ciel et des nuages qui s’y déplaçaient sous le souffle du vent. C’était agréable, c’était apaisant, cela changeait de l’ambiance de l’infirmerie qui, je devais bien l’avouer, commençait à me peser par moment en ces temps sombres. J’étais perdu dans mes pensées et, au moment où Junho vint me chatouiller, je mis quelques secondes à réagir. Par réflexe, j’avais légèrement rentré mon ventre en fermant les yeux, riant un peu avant de m’adresser à elle.

« Arrête ça, tu veux ? » Avais-je dit en riant sans pour autant changer de position.

J’étais bien installé, là, dans l’herbe, alors je ne m’attendais pas à ce qu’elle fasse quelque chose de pareil. Je souriais un peu en la regardant, même si je savais que généralement une demande comme celle-là ne suffisait pas du tout à faire cesser les choses… bien au contraire.

Si j’avais demandé à Junho d’arrêter ce qu’elle faisait, ce n’était pas parce qu’elle m’ennuyait. C’était simplement parce qu’elle m’avait surpris et que je n’appréciais pas trop d’être asticoté de la sorte… Comme tout un chacun en fait. J’aurais pourtant pensé qu’elle continuerait à m’embêter, simplement parce que cela l’aurait amusé. Visiblement, je m’étais trompé. Contrairement à ce que j’avais imaginé, la jeune femme m’avait laissé et s’était replongée dans sa lecture.

Mon regard s’était d’ailleurs détaché du ciel pour se poser sur elle, alors qu’elle était occupée à lire, le livre au dessus de sa tête. Je me demandais si elle arrivait réellement à lire de cette manière et, pour cette raison, je m’étais placé sur le côté, m’approchant un peu d’elle pour regarder en direction du livre et essayer de déchiffrer ce qui y était écrit. Je souris un peu, c’était bon, elle parvenait à lire.

J’avais un peu peur de l’empêcher d’étudier, de la déconcentrer sans réellement le vouloir… Je n’aurais pas voulu qu’elle manque son année par ma faute, d’autant plus que la potion –ce qu’elle semblait étudier en cet instant- était une manière assez difficile… Notamment pour celle qu’elle étudiait en cet instant. J’espérais d’ailleurs qu’elle n’aurait pas à concocter un felix felicis pour son prochain cours… cela serait réellement difficile vu le taux d’échec constaté pour la réalisation de cette potion.

Une fois de plus, je réfléchissais trop, bien trop, j’étais totalement incohérent et je ne pensais pas à mon propre bonheur, mais à celui de Junho avant tout. Était-ce ça, aimer quelqu’un ? S’oublier pour laisser l’autre personne prendre la place de notre cœur ? Dans ce cas, j’étais prêt à le faire, totalement s’il le fallait. Tout ce qui comptait à mes yeux, c’était que Junho soit heureuse, avec moi ou sans moi…

Cette éventualité m’avait bien évidemment traversé l’esprit alors que je réfléchissais. Si jamais un jour Junho ne voulait plus de moi, je serais prêt à la quitter… Du moins en théorie. J’aurais, certes, de nombreuses difficultés à me défaire d’elle et à la laisser partir… mais je devrais bien accepter cette réalité. Si elle venait à ne plus m’aimer, il faudrait que je me contente d’être heureux pour elle… heureux du bonheur qu’elle déciderait de vivre avec un autre, sans aucun doute plus jeune que moi.

À cette pensée assez triste, je vins entourer sa taille de mes bras pour l’étreindre un peu. Je fermai les yeux, trouvant le contact particulièrement apaisant et, alors que ma tête était toujours posée contre son épaule, poussai un léger soupir d’aise. Je ne prononçai pas un mot, laissant le silence s’installer pour ne pas la déranger dans sa lecture.

Ce calme était relaxant, vraiment relaxant, à un tel point que, sans même m’en rendre compte, je m’étais laissé tomber dans les bras de Morphée, toujours serré contre Junho, allongé sur le côté, la serrant dans mes bras alors qu’elle lisait. Ces derniers temps, mon sommeil s’était fait plus calme et je ne faisais plus des cauchemars aussi fréquemment qu’auparavant, c’était en grande partie grâce à Junho si les choses étaient ainsi… En lui donnant mon carnet, je lui avais cédé une partie de mon passé et de mes mauvais souvenirs… J’avais beaucoup de chance de l’avoir, mais surtout beaucoup de chance qu’elle m’accepte comme j’étais. J’y repensais sans cesse, même endormi… une chance que je ne parle pas durant mon repos.

Je n’aurais jamais pensé m’endormir après avoir pris Junho contre moi. Sans doute était-ce là le signe que je travaillais trop, le signe qui prouvait que les choses n’étaient pas faciles pour moi, et aussi celui qui montrait que je réfléchissais trop, au point de ma fatiguer inutilement en me posant des questions stupides et douloureuses pour moi… Dans tous les cas, quelles que soient les raisons de ce sommeil soudain, je m’étais endormi aux côtés de Junho, la tenant contre moi par la taille et, alors que mes yeux restaient clos par la fatigue, ma respiration s’était faite plus calme, plus paisible, comme celle de n’importe quelle personne endormie aussi profondément que je l’étais.

Un autre point qui m’avait aidé à sombrer dans un tel sommeil était sans aucun doute le confort que m’apportaient l’herbe et la présence de Junho à mes côtés. Elle était ma petite amie depuis quelques jours à peine, et pourtant j’avais l’impression que cela durait depuis bien plus longtemps… Un peu comme si ces sentiments qui s’étaient construits petit à petit étaient présents depuis longtemps… Je savais qu’ils étaient venus doucement, au fur et à mesure que les jours passaient, et que ceux-ci s’étaient renforcés et confirmés durant mon voyage au Japon, mais l’amour n’était-il pas de nature à ce que cette impression d’avoir toujours aimé existe ?

Serré contre elle, j’étais bien installé, mon sommeil s’approfondissait donc de minute en minute, si bien que lorsque le livre de Junho tomba sur moi, je ne le remarquai qu’à peine, cela se traduisant par un très léger mouvement dans mon sommeil. Cela ne parvenait pas à me réveiller car je dormais trop bien. Sans doute était-ce parce que ma fatigue était grande ; peut-être était-ce parce que j’avais besoin de sa présence pour faire une sieste réellement réparatrice ? Je n’en savais rien, mais il était clair que j’étais bien en cet instant. Si bien que je ne fis que sourire légèrement dans mon sommeil lorsque Junho m’embrassa sur le nez.

J’étais tellement loin dans mon sommeil que j’avais commencé à bouger légèrement, commençant par la serrer un peu plus dans mes bras avant de rouler sur le côté, me retrouvant au dessus de Junho sans même m’en rendre compte, les yeux toujours fermés, sans la lâcher. J’avais tendance à toujours tenir quelque chose dans mes bras lorsque je m’endormais, c’était même devenu essentiel pour que je puisse passer une bonne nuit… ou du moins pour que je puisse m’endormir. C’était peut-être pour cela que je m’étais endormi aussi soudainement. Dans tous les cas, je me trouvais désormais allongé sur elle, la tête posée à hauteur de son cœur, et je ne cessais de la serrer contre moi, bien que plus légèrement étant donné que j’étais endormi.

Une bonne demi-heure plus tard, j’ouvris les yeux. Il me fallut quelques secondes pour réaliser la manière dont j’étais allongé sur Junho et, cela fait, j’écarquillai un peu plus les yeux, me rendant compte que je devais ennuyer Junho en étant installé de cette manière. Je me redressai aussi rapidement que possible, essayant de ne pas lui faire mal au passage et, une fois à nouveau assis à ses côtés, je m’adressai à elle d’une voix assez embêtée.

« Désolé ! Je… Je dors depuis longtemps ? » Avais-je demandé en me frottant un peu un œil.

Travailler autant ne me réussissait réellement pas. J’ignorais d’ailleurs pour quelles raisons je continuais à me donner autant dans ce que je faisais ; peut-être étais-je réellement trop passionné par mon emploi ? Dans tous les cas, mes parents seraient heureux de savoir que je faisais toujours mon possible pour aider les autres… Mais sans doute ne le seraient-ils pas s’ils savaient que je le faisais au détriment de ma propre personne… Dans un sens, ce n’était pas réellement une nouveauté, mais à mes yeux cela n’était rien de plus qu’un simple détail insignifiant.

Je m’en voulais légèrement de m’être endormi sans avoir prévenu Junho auparavant. C’était d’ailleurs pour cette raison que j’espérais qu’elle ne m’en voudrait pas pour avoir agi d’une manière aussi stupide. Dans tous les cas, désormais, c’était trop tard. Je devrais me contenter de sa colère et de ses bouderies si je l’avais vexée. Seulement voilà, j’étais bien trop fatigué pour parler… sinon je n’aurais certainement pas sombré dans le sommeil aussi rapidement. Je n’avais pas d’autre choix que de m’excuser de m’être endormi, chose que j’avais fait quelques secondes avant de lui demander depuis combien de temps j’étais endormi.

À sa réponse, je baissai un peu la tête, gêné de m’être laissé aller de cette manière alors que nous avions voulu passer un peu de temps ensemble… Quelques secondes plus tard, lorsqu’elle ouvrit une nouvelle fois la bouche pour me faire part d’une question qu’elle devait se poser depuis un moment, je baissai un peu plus les yeux, conscient qu’elle avait raison de me demander cela… Je travaillais beaucoup trop pour mon propre bien, mais cela m’occupait l’esprit lorsque je n’étais pas avec elle… Mais si c’était pour m’endormir contre elle à chaque fois que nous nous retrouvions, c’était un peu stupide dans le fond… non ? Je réfléchis un instant avant d’hocher la tête pour lui répondre.

« Je peux essayer, si tu veux. »Avais-je timidement répondu à cette proposition qu’elle me faisait.

Elle avait l’air si sérieuse que je n’aurais clairement pas pu me permettre de refuser ce qu’elle me disait… Je ne voulais pas l’inquiéter car cela aurait en quelque sorte pu nuire à son bonheur. Pour cette raison, même si je venais à avoir du mal à dormir ou à faire d’autres choses car je réfléchissais trop, je ne voulais pas qu’elle s’inquiète pour moi. J’avais finalement souri et, quelques secondes plus tard, quelque chose d’humide vint à tomber sur ma main. C’est donc avec surprise que je levai les yeux vers le ciel, constatant avec déception que le ciel s’était bien couvert depuis que je m’étais endormi. Je poussai donc un profond soupir avant d’adresser la parole à ma petite amie, une pointe de déception dans la voix.

«  Je pense que nous devrions rentrer…Il commence à pleuvoir. »

Quelques secondes plus tard, j’étais accroupi. Je m’approchai de Junho pour poser un léger baiser sur ses lèvres en souriant. Je lui adressai ensuite la parole une nouvelle fois, ce même sourire dessiné sur le visage.

«  Je t’aime. » Dis-je simplement avant de me relever totalement.

J’attendis que Junho se lève également pour reprendre ma veste et je pris ensuite la direction de l’école tandis que l’averse commençait à tomber. Je n’avais pas envie de rentrer maintenant car j’avais trouvé ce moment bien trop court, mais au moins cela signifiait que nous risquions de nous retrouver bientôt pour nous revoir… non ?