Cela faisait quelques heures que j’avais retrouvé l’infirmerie que j’avais quittée pendant quelques mois. Le sentiment de retrouver cet endroit qui m’était devenu tellement familier avec le temps était une chose assez étrange mais, en soi, assez agréable. Je savais que peu de gens avaient du remarquer mon absence, ou du moins c’était ce que je pensais, mais dans tous les cas j’étais désormais revenu parmi eux. Je revenais de loin, certes, mais je revenais pour un bon moment.

Je souriais en travaillant, traitant les blessures bénignes de l’un ou l’autre élève avant de laisser celui-ci repartir et, quelques temps après, je reprenais ce traditionnel rangement que j’avais toujours fait lorsque je travaillais ici quelques mois plus tôt. Je n’avais pas changé en ce point : j’aimais trouver mes affaires facilement, à leur place et, plus que tout encore, découvrir que celles-ci étaient en bon état.

Lorsque j’étais parti, quelques mois plus tôt, je n’aurais jamais pensé revenir ici un jour. En fait, j’avais eu cette envie de rentrer à jamais au Japon durant les premières minutes de mon voyage mais, au fur et à mesure que je m’étais éloigné du château et des gens que j’y avais rencontré, je m’étais rendu compte qu’ils étaient devenus une grande partie de la personne que j’étais. Je ne pouvais pas abandonner Askja, une des dernières personnes que j’avais vues, je ne pouvais pas non plus abandonner Johan et Leather mais, bien plus qu’eux tous, il y avait une autre personne que je n’avais pas pu me résoudre à abandonner.

Cette personne n’était autre que Junho, cette élève que certaines personnes auraient sans doute qualifiée de « banale » mais qui ne l’étais aucunement à mes yeux. En fait, j’avais eu peur qu’il lui arrive malheur, qu’elle se retrouve à nouveau seule et qu’elle refuse de sortir du château… j’ignorais pourquoi, mais cette peur m’avait prise. De plus, même si j’avais quelques difficultés à l’admettre, il y avait quelque chose d’autre la concernant, quelque chose de bien plus gênant que je n’aurais pas voulu lui dire si je n’avais pas craint de voir le même scénario catastrophe se produire… Des sentiments auxquels je ne me serais pas attendu envers une élève avaient fait leur apparition.

À cause de ces sentiments assez troublants, ma première réaction en arrivant à bon port avait été de lui envoyer une lettre qui, à défaut d’avoir un plus jeune animal, avait été accrochée à la patte de notre vieil hibou… Je m’étais d’ailleurs étonné que celui-ci soit encore en vie et je craignais malheureusement que, par ma faute, ce voyage soit le dernier, mais je n’avais pas réellement eu d’autre choix que d’envoyer des nouvelles à mon amie, d’autant plus que je m’étais rappelé avoir oublié de lui indiquer mon départ… sans doute étais-je trop ému d’apprendre que j’allais pouvoir rentrer au pays…

Dans tous les cas, Junho m’avait manqué, tellement que j’avais fini par me résoudre à ne pas rester sur ma terre natale. Je n’étais plus fait pour vivre au Japon, plus dans l’immédiat du moins, car je m’étais senti comme investi d’une tâche envers elle : je devais la protéger, lui faire comprendre que j’étais là pour elle et ne pas la laisser s’autodétruire comme cela aurait pu arriver si elle continuait à se retrouver seule… Elle se serait détruite socialement avant de le faire physiquement et cela aurait été l’ordre logique des choses, mais je ne voulais pas de ce genre de fin pour elle.

Je fus perturbé dans mon rangement par le bruit soudain d’une porte qui s’ouvre et je tournai le regard vers celle-ci, tombant alors sur ma jeune amie qui semblait être arrivée en courant. Je lui adressai un large sourire, heureux de la voir et m’attendant à ce qu’elle m’adresse la parole. Personnellement, je n’osais pas encore lui montrer à quel point j’avais progressé et, pour cette raison, je gardais mon ardoise non loin de moi au cas où. Je voulais d’abord avoir quelques paroles de sa part avant de me lancer dans un récit sans fin et, surtout dans mes remerciements, mes excuses et, peut-être, quelques aveux gênants que j’avais à faire…

Je la toisai du regard pendant quelques secondes, comme si le trac venait de me prendre : je n’osais réellement pas parler… Je pris donc mon ardoise avant de lui écrire quelques mots avec toute la sympathie du monde sans être au courant que mon hibou n’était pas encore arrivé… Un si long voyage était habituel pour lui, mais il était clair qu’il n’était plus au mieux de sa forme et que le message risquait d’arriver avec quelques temps de retard… voire quelques longues semaines en l’occurrence.

« Junho, tu vas bien ? »

Je lui adressai ensuite un sourire, lui montrant toujours mon ardoise dans l’espoir qu’elle me répondre franchement… Elle avait l’air différent de ce qu’elle avait déjà été en ma présence… Comme si quelque chose avait changé, mais je ne savais réellement pas pourquoi je ressentais cette chose. Certes, j’avais été absent pendant quelques mois… mais qu’est-ce que cela changeait entre nous et dans notre amitié ? Après tout, j’avais envoyé de mes nouvelles et j’avais prévenu, bien que tardivement, de mon départ, non ?…

Je ne pouvais pas savoir qu’elle n’avait pas reçu ma lettre, tout comme elle ne pouvait pas savoir que je la lui avais envoyée… En fait, c’était une situation assez étrange dans laquelle nous nous étions soudainement retrouvés : elle pensait sans doute que je l’avais oubliée et, de mon côté, j’étais persuadé qu’elle était heureuse de me revoir car elle avait reçu de mes nouvelles durant mon voyage… Seulement, peut-être qu’aucune de ces deux propositions n’était vraie… Je n’avais pas cessé de penser à elle et, désormais, elle me confirmait ma crainte : elle avait passé beaucoup de temps seule J’avais baissé les yeux pendant quelques secondes, réfléchissant au pourquoi de son acte.

Petit à petit, je commençais à me douter de la non-réception de ma lettre et, quelque part, je comprenais qu’elle m’en veuille si elle n’avait pas reçu mon écrit car, dans le fond, cela avait du sonner comme un abandon à ses yeux. Je réfléchissais à quoi faire car je n’aimais pas du tout cette impression de culpabilité que j’avais alors que la faute était surtout à l’âge de cet hibou déplumé que j’avais du lui envoyer à défaut de posséder un autre animal plus jeune. Je retins un faible soupir tandis que je réfléchissais, reposant mon regard sur mon amie.

Je saisis à nouveau mon ardoise pour écrire quelques mots sans rien dire, réfléchissant à ce que je faisais pour ne pas écrire quelque chose de trop blessant, et au moins quelque chose de crédible pour elle… Car j’imaginais facilement que de simples excuses n’auraient pas suffi.

« J’étais tellement heureux de rentrer que j’ai oublié de prévenir tout le monde à part le personnel, tu sais. Mais j’ai envoyé un hibou une fois-là… Visiblement tu ne l’as pas reçu. »Écrivis-je avant de montrer l’ardoise à Junho.

Je m’en voulais de lui avoir fait du mal alors qu’elle ne le méritait absolument pas, d’autant plus que, si j’étais revenu ici, c’était en grande partie pour elle. Elle ne pouvait pas le savoir car je n’avais pas réellement l’intention de le lui dire dans le fond… elle n’avait pas à savoir cela et cela la mettrait sans doute bien plus mal à l’aise que moi… d’autant plus que c’était sans doute à sens unique et totalement absurde… notamment aux yeux de l’administration qui ne pourrait pas réellement faire preuve de compréhension si elle venait à en être au courant.

Quelques secondes plus tard, je détachais mon regard de Junho pour regarder par la fenêtre quelques instants en réfléchissant. Un soupir plus tard, j’écrivais à nouveau quelques mots sur l’espace noir de la tablette pour finalement la présenter à mon amie essayant de chercher son regard.

« Tu penses vraiment que j’aurais pu partir sans rien dire ? »

J’étais réellement curieux de connaître sa réponse à cette question car, quelque part, je pensais qu’elle avait appris à me connaître par ce qu’elle avait pu lire de moi dans mon journal ou même ce qu’elle avait pu remarquer dans ma manière de faire. J’avais peur qu’elle croie réellement que je n’étais pas vraiment son ami. J’avais peur qu’elle pense qu’elle ne comptait pas à mes yeux alors qu’en réalité, c’était tout le contraire. Dans tous les cas, je n'osais toujours pas lui parler réellement... j'avais peur désormais qu'elle ne puisse pas comprendre que, si j'avais fait ça, c'était avant tout pour et grâce à elle.

Quelque part, il était normal que Junho m’en veuille si elle pensait que je n’avais pas pensé à elle lorsque j’étais parti. En réalité, je n’avais fait que ça, sinon sans doute ne serais-je pas revenu aujourd’hui, rien que pour la voir et prendre soin d’elle, même si pour cela elle ne devait pas le savoir. D’un autre côté, cela me faisait de la peine de savoir que, par ma faute, elle s’était à nouveau refermée sur elle-même au point de rester seule dans son coin, sans aucun doute loin des autres. Je m’en voulais car j’avais l’impression qu’avoir envoyé un vieil hibou qui arriverait avec un grand retard au lieu d’un plus jeune était un choix que j’avais du faire alors qu’en réalité c’était plutôt une obligation…

Lorsque je vis Junho baisser la tête, je me demandais à quoi elle était en train de songer. J’espérais qu’elle ne m’en voulait pas trop pour ce qui était arrivé car j’avais fait cela uniquement pour me sentir un peu plus en paix avec celui que j’étais désormais. Je voulais qu’elle me pardonne d’être parti aussi soudainement, « sans prévenir », et surtout aussi loin. Je savais qu’elle m’avait réellement manqué, mais je ne savais pas si j’étais réellement obligé de le lui dire… Je fermai simplement les yeux, attendant qu’elle m’adresse à nouveau la parole et, lorsque j’entendis sa réponse, je poussai un petit soupir : comme je m’en étais douté, le hibou n’était pas encore arrivé à bon port. Je me surpris presque à maudire ce pauvre animal qui n’était plus tout jeune et mettait donc plus de temps à faire chaque trajet, surtout les aussi long.

Après ma seconde question, je vis Junho détourner le regard, cela me faisant pousser un petit soupir, surtout lorsqu’elle laissa échapper une nouvelle phrase qui pouvait signifier beaucoup de choses. Sa mère l’avait abandonnée ? Je m’en voulais un peu plus de l’avoir « abandonnée » désormais… mais je ne savais pas réellement comment agir envers elle. Pour cette raison, je fermai les yeux et je réfléchissais pendant quelques nouveaux instants, attendant de voir si quelque chose allait se produire et, effectivement, quelque chose se produisit puisque Junho reprenait désormais la parole. À ses paroles, je souris un peu. Parfois je me demandais si je lui avais réellement manqué ou si elle avait juste été blessée de ne pas avoir été prévenue… c’était triste, mais je n’aurais pas pensé qu’elle allait vouloir repartir aussi vite alors qu’elle était elle-même venue me voir… Je n’avais juste pas trouvé le temps d’aller la voir avant, c’était simplement ça.

En cet instant, je me dis que je n’avais pas réellement le choix dans ma manière d’agir… Je posai mon regard sur elle sans rien dire pendant quelques secondes avant de m’adresser à elle, à voix haute, pour la première fois.

« Tu sais, je ne suis pas revenu ici sans raison. Je suis revenu parce que j’avais rencontré beaucoup de monde ici, des gens que j’ai appris à connaître et avec qui j’aime passer du temps. Là-bas, à part mes parents, je n’ai plus personne. »

Ma voix était certes lentes, mais mon discours n’était plus aussi saccadé qu’il avait plu l’être par le passé. Parfois je marquais des arrêts car mes cordes vocales souffraient encore un peu de ce mutisme, mais je n’avais plus les mêmes difficultés à m’exprimer et mes paroles étaient très claires. Je déposai la tablette sur un meuble qui se trouvait non loin avant de m’approcher de Junho sans la quitter des yeux.

« Mais si je suis revenu c’est aussi parce que j’avais oublié de faire une chose avant de partir. Te dire quelque chose que je ne pouvais pas te dire avant... »

Je m’approchai d’elle et la pris dans mes bras. Je devais la remercier, j’avais fais tous ces efforts dans le simple but de parvenir à lui adresser un « je te remercie » lorsque je serais de retour alors, désormais, c’était le moment. Cependant, alors que je voulais lui adresser ces mots simples, je n’y parvenais pas. J’ignorais si c’était le trac ou autre chose, mais la chose que j’avais envie de lui dire en cet instant était bien plus étrange, bien plus « anormale » au vu de mon statut d’infirmier et de son statut d’élève mais c’était la seule chose qui me venait et que j’aurais voulu ne pas lui dire pour ne pas risquer qu’elle me renie totalement…

Quelques secondes de silence plus tard, je m’adressai finalement à elle en fermant les yeux et en la serrant contre moi.

« Je t’aime, Junho. »

Vu les efforts que je faisais pour parler clairement, il était impossible qu’elle n’ait pas compris, d’autant plus que je la tenais contre moi en cet instant. Cependant, je me sentais réellement mal à l’aise car j’avais peur qu’elle parte d’un coup sans revenir, comme si ce que j’avais dit était la plus grande bêtise du monde mais, non, je n’étais pas un pervers comme beaucoup auraient pu le penser… J’étais vrai dans mes sentiments et dans mes paroles…

Je pouvais déjà m’attendre à ce que ma nouvelle oralité effraye Junho, ou du moins l’étonne légèrement. Pour cette raison, je tentais de ne pas me laisser déstabiliser à mon tour lorsqu’elle émettait un faible début de question avant de s’arrêter quelques secondes plus tard. Je savais que c’était surprenant, d’autant plus que je n’avais pas désiré lui parler réellement avant d’en être presque totalement capable. Désormais, le moment était venu et j’avais commencé à parler alors je ne pouvais plus retourner à mon ardoise et mes craies, cela aurait été lâche, même si parfois j’étais étonné d’entendre le son de ma propre voix.

Quelque part, sentir que Junho ne fuyait pas alors que je la serrais contre moi était une sorte de réconfort. Elle n’avait pas peur de moi et elle ne semblait pas m’en vouloir. J’étais réellement heureux de la sentir me serrer un peu plus contre elle, de même que de sentir sa tête se poser sur mon épaule. J’étais tellement sérieux, j’avais tellement eu envie de lui dire merci en cet instant mais, malheureusement ou heureusement, les paroles qui étaient sorties n’avaient strictement rien à voir avec de la gratitude. Je fermai les yeux pendant quelques secondes après mon aveu, craignant une réaction violente ou quoi que ça soit étant donné l’étrangeté de mes paroles mais, contrairement à mes attentes, cela n’eut pas lieu.

Je m’étonnai d’abord d’une réponse aussi spontanée, mais encore plus de la question qui suivit peu de temps plus tard. Je trouvais cela assez drôle car, dans un sens, elle avait du répondre sans réellement s’en rendre compte et, ensuite, elle avait du réaliser ce qu’elle avait entendu… Je ne savais pas quoi répondre, si ce n’était la vérité. Elle s’était reculée et je pouvais la regarder dans les yeux, du moins je tentais de le faire car j’avais réellement honte de ce qui m’arrivait. Tomber amoureux d’une élève, n’était-ce pas une mauvaise chose ? Bien évidemment, au Japon, certains couples présentaient une grande différence d’âge mais, il était clair que dans le cadre du travail, c’était totalement différent.

« Oui. Je sais que c’est soudain. Et… que ça ne devrait pas être le cas, mais je t’aime. »

Comme si la honte m’avait à nouveau pris de court, je me rapprochai de Junho pour la prendre contre moi. Je fermai les yeux et je m’adressai ensuite à elle à nouveau, réellement effrayé par la réaction qu’elle aurait pu avoir une fois qu’elle aurait réalisé ce que je venais de lui dire.

« Je suis revenu parce que je ne pouvais pas t’abandonner. »

La question dans cette situation était sans doute celle du discours. Il était difficile de choisir les bonnes paroles, difficile de savoir comment exprimer les bonnes choses, de la bonne manière… C’était une véritable épreuve. Je le savais.

Au fond de moi, j’avais eu peur que quelque chose arrive en cet instant, alors que j’allais lui avouer mes sentiments, mais rien ne s’était produit. Je serrai Junho un peu plus contre moi sans rien dire de plus, fermant simplement les yeux. Oui, je l’aimais, c’était venu comme ça, avec le temps, alors que je ne m’y serais jamais réellement attendu et là, tout de suite, j’avais cette impression d’être l’un de ces personnages de film romantique que ma mère regardait si souvent… Malgré toute cette honte, je me sentais pourtant étrangement bien.

J’avais un peu de mal à réaliser que j’avais bel et bien avoué mes sentiments à Junho. J’avais eu peur, j’avais cru qu’elle fuirait sans demande son reste et, au contraire de tout cela, elle restait là et continuait de me parler comme si de rien n’était… Peut-être qu’elle devait faire de gros efforts pour cela, je n’en savais rien, mais j’étais réellement heureux que les choses se passent ainsi. Lorsqu’elle quitterait la pièce, peut-être que, même si elle avait dit m’aimer aussi, elle ne reviendrait plus de peur de ce que je lui avais avoué… Je devais réfléchir de trop et cela me pourrissait l’esprit et les idées alors, je devais me ressaisir et arrêter de penser des choses aussi tristes que celles-là.

Je ne compris pas de suite de quoi elle parlait lorsqu’elle me dit qu’elle était peut-être un peu fautive si mon hibou n’était pas arrivé. Je ne comprenais pas pourquoi, je l’écoutai donc, histoire d’en savoir un plus sur ce qu’elle venait de me dire car cela m’intriguait quelque peu. Sa baguette avait été fabriquée par son père ? Était-il un artisan de baguettes ? Un éclaircissement fut apporté lorsqu’elle évoqua le sang de licorne que celle-ci contenait. Du sang de licorne ? Qui aurait osé tuer une licorne pour utiliser son sang dans une baguette ? C’était un bien gros sacrifice pour une si petite chose… Cela me surprenait un peu, mais je comprenais mieux pourquoi elle se jugeait partiellement fautive en cet instant. Sa baguette devait lui porter malheur. Je souris un peu, conscient que si mon hibou n’était pas encore arrivé, c’était avant tout à cause de son âge avancé.

« Ne t’en fais pas, ta baguette n’a rien à voir avec le hibou. Il est très vieux et prend toujours un fameux retard. Il a simplement du s’égarer, où alors il se repose quelque part.»

J’étais réellement persuadé que c’était pour cette raison qu’il n’était pas encore arrivé et non pas pour autre chose de plus ennuyeux comme, par exemple, une mort accidentelle ou d’autres choses tout aussi tristes. Après quelques secondes, je réfléchis à nouveau à quelque chose. Sa baguette était maudite, il était donc évident qu’il lui arrivait beaucoup de problèmes à cause de celle-ci… Cette maladresse que j’avais pu remarquer était-elle due à cette petite chose, aussi insignifiante puisse-t-elle paraître ? Si c’était le cas, je devais y faire quelque chose… Mais quoi ? Tandis que j’étendais ma réflexion, je lui posai une simple question.

« Tu veux bien me la montrer, ta baguette ? S’il te plait. »

C’était peut-être de la simple curiosité de ma part, mais je réfléchissais également à autre chose. Les sorciers pouvaient bien utiliser d’autres baguettes que les leurs, non ? Dans ce cas, j’avais peut-être une idée de quoi faire pour l’aider au niveau de cette « malédiction », même si pour cela elle allait devoir accepter de se séparer de sa baguette personnelle…

J’étais intimement persuadé que le retard de mon hibou n’était aucunement en rapport avec sa soi-disant malchance causée par cette baguette. J’étais sûr qu’elle pouvait passer au dessus, ou du moins que mon hibou n’avait rien à voir dans l’histoire. Ce n’était pas un problème à mes yeux car, même si sa guigne était due à sa baguette maudite par le sang de licorne, Junho était sans hésiter bien moins malchanceuse que certaines personnes qui n’avaient strictement aucun artefact du genre… Quelque part, elle aurait du être heureuse de ne pas être plus dangereuse pour les autres, mais je ne pouvais que la comprendre… J’avais également eu peu de chance durant mon adolescence et je ne savais que trop bien à quel point cela était désagréable.

Dans un élan de curiosité, mais également parce que j’avais quelque chose derrière la tête, j’avais demandé à voir la baguette de Junho. Elle avait semblé assez étonnée de cette demande. Dans le fond, sans doute l’aurais-je été, moi aussi, si une personne était soudainement venue me demander à voir ma baguette, chose qui, bien qu’elle n’ait plus servi depuis des années désormais, était très importante à mes yeux, cela même si elle n’était qu’un simple morceau de bois aux yeux de bien d’autres personnes. Quelque part, je n’aurais pas compris les raisons d’un tel intérêt pour une baguette magique autre que la mienne… Je souris un peu à cette idée… Quelques secondes plus tard, Junho me tendait sa baguette en formulant une simple question qui fit s’agrandir mon sourire.

« On dirait que tu ne me fais pas confiance. » avais-je annoncé en souriant.

Désormais, une idée avait germé dans mon esprit, fruit de la réflexion que je m’étais faite quelques minutes plus tôt. Ma baguette était restée inutilisée pendant quelques années désormais. J’y repensais tandis que j’observais la baguette de Junho que je tenais soigneusement entre mes mains pour éviter de la faire tomber et de la briser. Je la regardai sous toutes ses coutures et, au bout d’un moment, je relevai les yeux vers Junho sans rien dire. Quelques secondes plus tard, je tournais les talons pour chercher après un objet bien précis dans les affaires que j’avais emportées avec moi quelques temps plus tôt,  lorsque j’étais revenu au château. Je savais que je l’avais avec moi, même si je ne m’en servais jamais. Ainsi, je finis par trouver l’étui de ma baguette. Je l’ouvris quelques secondes plus tard, sans lâcher la baguette de Junho et, sans rien dire, je prenais ma baguette avant de placer l’autre à la place. Je refermai finalement la boîte sans la lâcher, revenant à hauteur de Junho en observant toujours ma baguette avec un sentiment assez étrange… La dernière journée où je m’en étais servie, les choses avaient mal tourné… mais ce n’était pas une raison pour qu’elles le fassent à nouveau.

« Utilise celle-ci à la place. Je garderai la tienne en sécurité, ne t’en fais pas… »

J’avais tellement peur que les choses tournent mal à cause de sa baguette que je n’avais pas du tout envie de la laisser s’en servir comme elle le voulait… Pas maintenant du moins. Je n’avais pas envie de voir un scénario tragique se répéter et, en l’occurrence, la malchance n’aurait pas été la bienvenue à la fête. J’avais donc décidé de garder sa baguette en sécurité, à un endroit où personne ne risquerait de subir les problèmes qu’elle aurait pu amener à quelqu’un de peu précautionneux. Dans tous les cas, ma baguette témoignait parfaitement du soin avec lequel je conservais les affaires. Junho avait d’ailleurs pu constater à quel point j’étais une personne soigneuse, tant au niveau de mes affaires que de celles des autres alors, il ne devait normalement pas y avoir de soucis à ce niveau… J’espérais juste qu’elle accepte cette demande de ma part.

« S’il te plait. Je sais que c’est stupide, mais je n’ai pas envie qu’il t’arrive quelque chose à cause d’elle… même si tu y tiens. »

J’osais avancer cette hypothèse car je savais que j’étais moi-même incroyablement attaché à ma baguette… Tout comme je l’étais à mon journal. Je ne voyais certes pas ça comme si j’avais également envie qu’elle me confie quelque chose, comme je l’avais fait pour mon journal avec elle mais, quelque part, j’avais réellement envie qu’elle accepte cet échange… Tout ce que je voulais, c’était être sûr qu’elle ne risquait rien, que cela soit en cours ou à l’extérieur… Ou du moins pas autant que si elle avait eu sa baguette sur elle.

Pour cette raison, mon air s’était fait sérieux et je cherchais à soutenir  son regard. Je voulais qu’elle accepte de me faire confiance… Je l’aimais et je voulais la protéger, ce n’était ni de la méchanceté… peut-être juste un « égoïsme » destiné à la protéger.

Je me sentis comme rassuré lorsque Junho me dit qu’elle avait confiance ne moi. En fait, l’espace d’un instant, j’avais réellement craint qu’elle ne m’accordait pas assez de confiance pour me laisser voir sa baguette de plus près. Bien évidemment, je n’avais pas eu à l’esprit tout de suite l’idée que j’allais mettre en application par la suite. Je lui avais donc pris sa baguette pour la mettre en sécurité et, après avoir réfléchi quelques longues minutes, je lui avais donné la mienne en échange afin qu’elle s’en serve en cours. Je n’aurais pas voulu apprendre qu’une blessure avait été causée par la faute de ce morceau de bois maudit qu’elle avait des années sans doute…

Quelques secondes plus tard, je lui avais donc tendu ma baguette en lui demandant de s’en servir au lieu d’utiliser la sienne, lui signifiant au passage que j’avais dans l’intention de garder la sienne en sécurité afin qu’elle ne soit pas abîmée. Si elle tenait réellement à cet objet, cette solution faisait sans doute partie des meilleures. Que cela soit pour lui éviter bien des malchances ou pour éviter de la briser par accident… Je lui avais souri après quelques secondes, espérant qu’elle se saisirait de ma baguette et ne protesterait pas pour récupérer la sienne.

J’avais vu Junho qui hésitait à reprendre sa propre baguette mais, même si elle l’avait voulu, j’aurais insisté pour qu’elle ne la reprenne pas. Je ne voulais réellement pas qu’elle se blesse et j’avais donc ajouté quelques paroles qui lui signifiaient cela. Elle m’avait ensuite regardé pendant quelques secondes et je lui avais adressé un nouveau sourire tandis qu’elle semblait s’inquiéter sur un possible besoin d’utiliser la magie… Je n’y étais pas encore prêt, pas du tout même.

« Ne t’en fais pas, j’en prendrai soin. Et ne t’en fais pas pour moi, je suis encore loin d’être prêt à réutiliser la magie. » Avais-je annoncé en un faible sourire.

Malheureusement, je ne disais que la pure vérité. Je n’avais pas envie d’utiliser la magie et je n’en ressentais pas le besoin, cela même si la parole m’était revenue. Je pouvais donc parfaitement me passer de cette baguette que j’avais conservée intacte pendant des années déjà.

« Prends en bien soin, toi aussi. »

Je lui adressai un large sourire, me trouvant désormais sans une idée de quoi lui dire. Je ne réalisais pas réellement ce que j’avais fait aujourd’hui car, dans le fond, je n’avais jamais pris autant d’initiatives depuis longtemps. Je souris finalement Junho sans rien dire dans un premier temps et, au bout d’un moment, je ressentais une nouvelle fois l’envie de la prendre dans mes bras.

« Merci pour tout ce que tu as fait pour moi Junho, je suis vraiment désolé d’être parti. »

J’avais eu cette envie de le lui dire, là, d’un coup… C’était peut-être stupide, mais j’avais dit énormément de choses « inutiles » depuis mon retour, mais je n’avais pas encore réussi à lui transmettre ma reconnaissance pour tout ce qu’elle avait réalisé pour moi depuis que nous nous connaissions. Désormais, c’était fait, même si à cause de mes précédents aveux j’ignorais totalement comment la considérer… mais surtout comment nous considérer l’un par rapport à l’autre. Des amis, un infirmier et une élève… plus compliqué que ça ? C’était très difficile, mais cela ne changeait en rien ma reconnaissance et ces sentiments que j’avais à son égard.

J’étais réellement heureux de sa réponse lorsque je lui avais demandé de prendre bien soin de ma baguette. Je l’avais d’ailleurs regardée la mettre dans sa poche, un peu plus tôt, me rendant compte du point auquel un simple bout de bois pouvait être important à nos yeux. En fait, je réalisai ce qu’elle avait du ressentir un peu plus tôt, lorsqu’elle m’avait vu mettre sa baguette dans l’étui de la mienne… Je souris un peu, me disant qu’il était stupide de ma part de me soucier de l’état d’un objet aussi insignifiant que ma propre baguette mais, au final, je me rendais compte que je trouvais ce genre de choses réellement importante pour moi… J’aimais ma baguette car elle m’avait accompagné pendant une bonne partie de ma vie et, désormais,… elle était confiée à Junho, pour sa propre sécurité. J’avais toujours voulu être un sorcier protecteur des autres… c’était désormais chose faite, du moins pour Junho.

J’avais donc fini par la prendre dans mes bras afin de la remercier pour ce qu’elle avait fait pour moi, sans doute sans s’en rendre réellement compte, depuis notre première rencontre. Elle m’avait permis de me reconstruire alors que j’avais échoué à cette tâche depuis des années. En fait, elle m’avait donné cette raison de continuer qui me manquait depuis des années désormais. Je souris en tenant Junho contre moi lorsque me dit qu’elle n’avait pas fait grand-chose. Ne se rendait-elle donc réellement pas compte de tout ce qu’elle avait accompli ? Elle m’avait fait reparler et m’avait empêché de me tuer ! C’était déjà énorme à mes yeux… Je lui en serais à jamais reconnaissant. Elle m’affirma ensuite que j’avais eu raison de partir si j’en ressentais le besoin. Je savais qu’elle avait raison, quelque part, mais je ne pouvais pas arrêter de penser que je l’avais abandonnée pendant quelques mois… Même si j’avais envoyé un hibou.

Tandis que je la gardais contre moi, je continuais de me poser cette terrible question qui m’habitait depuis que j’avais osé lui avouer mes sentiments… Comment devions-nous nous considérer l’un et l’autre ? Bizarrement, cette question restait incroyablement difficile à poser, même pour moi, celui qui avait été le premier à avouer mes sentiments à l’autre… dans un sens, c’était plutôt normal au vu de la différence d’âge qu’il y avait entre nous… mais je ne pouvais pas m’empêcher d’être tiraillé par cette question qui, à mes yeux, semblait existentielle.

Comme si elle m’avait entendu poser cette question intérieure, Junho me demanda quelque chose qui y ressemblait fortement. Sans savoir pourquoi, j’avais compris de quoi elle parlait et, pour cette raison, je me redressai et m’écartai un peu d’elle pour la regarder dans les yeux. Ce que nous étions ? J’aurais aimé pouvoir lui répondre simplement que nous étions ensemble… cela aurait été un peu trop idyllique et digne des grands films… seulement voilà, je ne pouvais pas, notamment à cause de mon statut d’infirmier.

« Je comptais sur toi pour me le dire …Je pense qu’il vaut mieux que personne ne le sache. » Avais-je dit en riant un peu, une pointe de regret dans la voix.

Je regrettais un peu de savoir que cette relation serait désapprouvée par beaucoup de monde dans l’école car je n’avais plus aimé quelqu’un de cette façon depuis Mika alors…c’était réellement perturbant.

J’aimais réellement Junho. C’était venu petit à petit, à mesure de rencontres et de discussions et j’avais même mis du temps à le réaliser alors… Non, je ne savais définitivement pas comment définir notre relation actuelle. Dans certains cas, les gestes parlaient mieux que les mots alors je décidai de m’approcher d’elle à nouveau pour ensuite déposer mes lèvres sur les siennes, sans rien dire dans un premier temps. Quelques secondes plus tard, je me reculai à nouveau avant de lui adresser quelques mots sans oser lever les yeux.

« Dans tous les cas, je t’aime. » Avais-je finalement dit.

Jamais je ne m’étais senti aussi perdu dans ce que je ressentais. J’aimais Junho, je n’aurais d’ailleurs pu le nier, même avec toute la volonté du monde et, désormais, j’étais obligé de donner un nom à notre relation. Quelque part, il était peut-être mieux de définir ce que nous étions l’un par rapport à l’autre au lieu de rester sur une incompréhension ou, au moins, une idée floue… Je fermai les yeux pendant quelques secondes, réfléchissant à ce que j’allais pouvoir lui dire pour qu’elle me comprenne, à ce que j’allais pouvoir faire et, finalement, j’avais décidé de l’embrasser afin d’être le plus clair possible. J’étais réellement mal à l’aise car je n’étais que trop conscient de l’écart existant entre nous… Elle était jeune et j’étais déjà adulte depuis quelques années… dans mon pays moins, certes, mais cette différence n’en était pas moins réelle et, quelque part, embarrassante.

Quelques secondes après ce baiser, je m’étais adressé à elle en lui signifiant que je l’aimais et que sa décision n’y changerait rien… Un peu plus tard encore, elle s’était serrée dans mes bras en me disant qu’elle m’aimait et que même si personne ne devait être au courant elle ne voulait pas s’éloigner de moi… Quelque part, c’était touchant d’entendre ça alors qu’on a eu cette impression d’être invisible et sans importance pendant tant d’années… Comme première réponse, j’avais simplement fermé les yeux, la serrant un peu plus contre moi. Je ne savais réellement pas quoi lui dire et encore moins comment me comporter envers elle… C’était tellement gênant. Finalement, j’avais à nouveau ouvert la bouche pour parler, réfléchissant à ce que j’allais dire.

« Alors personne ne le saura... Je pense que c’est plus prudent» Avais-je ensuite dit tandis que je la gardais contre moi.

Je ne savais quoi dire car je savais à quel point notre relation était étrange en cet instant… Qu’auraient dit les autres en apprenant la relation de l’infirmier et d’une élève ? Sans doute aurais-je perdu mon travail et d’autres choses à cause de l’administration actuelle du château… je ferma les yeux et poussai un profond soupir sans cesser de réfléchir aux choses que je venais de dire et de faire. J’étais heureux qu’elle m’aime en retour mais, quelque part, je m’en voulais de ne pas avoir son âge… de ne pas être différent de celui que j’étais, bref, de compliquer une nouvelle fois les choses pour rien… Je ressentis d’ailleurs le besoin soudain de lui annoncer en la serrant toujours contre moi.

« Je suis désolé que les choses soient aussi difficiles par ma faute… »M’excusais-je sans la lâcher.

Si j’avais été plus jeune, sans doute aurions-nous pu avoir une relation normale…Sans doute aurait-elle pu avoir un petit ami comme les autres… pas un garçon aussi fragile et incompétent que je l’étais… Je fermai à nouveau les yeux après cette pensée assez amère… Je m’en voulais de ne pas être mieux que Ren Minami… Je n’étais pas une autre personne et j’étais bien obligé de subir ma propre personne par moment…

Une crainte venait soudainement de me prendre : allait-elle penser un jour que je n’étais pas la personne pour elle ? Allait-elle penser que je ne l’aimais pas ? J’avais réellement peur… Peur que cette différence d’âge nous porte malheur, mais je ne devais pas penser à cela… Je l’aimais et c’était ce qui comptait en cet instant… Savoir ce que nous étions l’un pour l’autre et, si possible, réussir à mettre un nom sur cette relation que nous allions peut-être commencer… C’était effrayant, mais je ne pouvais pas faire autrement… Dans mon esprit… nous étions bel et bien un couple, même si nous devions rester cacher pour cela, du moins un certain temps…

Je ne cessais de me répéter que je devais arrêter de penser que je n’étais pas une bonne personne. Je tentais de ne pas me descendre aux côtés des autres… mais j’avais beaucoup de difficultés à y arriver… Cependant, je devais y parvenir. Pour cette raison, j’avais essayé de penser à autre chose une fois que Junho m’avait répondu qu’il était mieux de faire ainsi en précisant que c’était surtout mieux pour moi. Je ne savais pas quoi lui dire, et encore moins quoi faire, tant les choses étaient floues dans mon esprit… En fait, lui avoir avoué la vérité sur mes sentiments était assez troublant et j’imaginais assez facilement qu’elle devait être dans le même état que moi.

Je savais d’avance que les choses seraient compliquées pour nous. Nous n’avions pas le même âge et, par conséquent, pas les mêmes priorités… Pas les mêmes projets non plus. Quelque part, j’avais un peu peur de ce qui allait arriver par la suite, notamment à ce niveau étant donné que les choses étaient difficiles à cadrer… Je réfléchissais une nouvelle fois beaucoup trop et, pour cette raison, je fermai les yeux sans la lâcher.

Lorsqu’elle me dit que ce n’était de la faute de personne et qu’elle m’éloigna un peu d’elle, je l’écoutai sans rien dire avant de hocher la tête. J’avais tout de même peur que les contraintes finissent par jouer dans ce que l’on ressentait… J’avais peur qu’elle ne m’aime plus parce que je lui rendais la vie bien trop difficile. J’avais peur qu’elle finisse par ne plus m’aimer à cause de ces bêtises… Au bout de quelques secondes, je poussai un petit soupir, ignorant toujours ce que j’allais pouvoir lui dire pour m’excuser… Je ne faisais que cela.

En ce moment, j’avais beaucoup de mal à faire la différence entre ce que je voulais faire et ce que je pouvais faire… je voulais l’aimer, mais je n’en avais pas le droit… cependant, je ne pouvais pas empêcher ces sentiments désormais… Je n’aurais pourtant jamais cru que je les lui avouerais, c’était désormais chose faite et je ne pouvais malheureusement pas lui effacer la mémoire…
Alors que j’allais me replonger dans des pensées plus tristes et confuses encore qu’elles ne l’étaient déjà, Junho avait repris la parole en me disant que ce qui comptait, c’était que l’on soit heureux. À ce moment là, un léger sourire se dessina sur mon visage et, durant quelques secondes, je réfléchissais…

« Je le pense aussi… »Avais-je déclaré au bout d’un instant.

Je ne pouvais pas m’affirmer comme son petit ami de par mon statut d’infirmier… ou plutôt je ne voulais pas m’imposer à elle alors qu’elle avait sans doute mieux à faire que rester avec moi… Pour cette raison, je ne me sentais toujours pas autorisé à placer un mot sur ce que nous étions… Certes, nous aurions pu être un couple… mais je ne pouvais pas l’affirmer comme cela, sans être même sûr de ce qu’elle ressentait par rapport à ça… Oui, peut-être qu’elle m’aimait… mais m’aimait-elle assez pour ça ? Pour supporter ce que j’étais ? Le fait était que nous allions l’un et l’autre devoir nous adapter aux besoins de l’autre… Il était clair que cela serait parfois très compliqué… mais j’étais prêt à essayer si jamais elle le voulait… simplement parce que c’était elle.

« Tant qu’on sait ce qu’on est l’un pour l’autre… C’est l’essentiel. »

J’aurais voulu qu’elle me donne un indice… qu’elle me le dise ou, carrément, qu’elle me le demande… Mais même si j’avais vécu des choses horribles à cause de mes sentiments par le passé, à cause de la mort de Mika… je n’arrivais pas à lui demander clairement si nous devions nous considérer comme un couple, même à l’écart des regards.

J’aurais voulu me convaincre des sentiments de Junho à mon égard, mais je n’y parvenais pas sans savoir comment la considérer. Elle pouvait n’être qu’une très bonne amie si elle le désirait, mais je savais parfaitement que cela ne changerait en rien les sentiments que je ressentais envers elle. Tout ce qu’il fallait, au bout du compte, c’était qu’elle me dise comment elle me considérait maintenant que je lui avais avoué mes sentiments… Je devais savoir si nous étions condamnés à n’être que de simples amis ou … pas.

J’étais tellement occupé à me questionner à ce sujet que, lorsqu’elle me posa une nouvelle question, je ne pus m’empêcher de relever la tête, me demandant si elle avait bel et bien posé cette question à laquelle je m’attendais sans que cela soit réellement le cas… J’avais voulu l’entendre me poser cette question pour pouvoir lui répondre… mais je n’aurais jamais cru qu’elle le ferait réellement…  Alors qu’elle baissait la tête, je réfléchissais à la manière de m’exprimer comme si ce que j’avais à dire était extrêmement complexe... c’était pourtant si simple de le lui dire maintenant que le plus dur était passé…

« Seulement si tu le veux aussi. » Avais-je finalement répondu avant de tourner la tête pour ne pas croiser son regard si elle venait à lever la tête à nouveau.

Tout était dit désormais. Si elle voulait de moi comme « petit ami », alors je le serais… Si c’était le contraire, alors je l’accepterais, même si cela risquait de s’avérer difficile dans un premier temps. Dans tous les cas, je ne voulais pas m’imposer à elle, notamment à cause de mon âge et de mon rôle dans l’école. Je ne m’y sentais pas autorisé, et sans doute ne serait-ce pas le cas pendant un bon moment… Quelques secondes après cette réponse, je me contentais de la regarder en souriant un peu, comme j’avais l’habitude de le faire pour la rassurer : elle ne devait en aucun cas croire que j’allais mal, ce n’était absolument pas le cas actuellement.

Dans le fond, énormément de choses s’étaient produites depuis que nous nous étions rencontrés. Depuis incident de l’infirmerie, nous avions beaucoup discuté, même si les mots et la parole m’avaient souvent manqué et, désormais, nous étions devenus très importants l’un pour l’autre… ou du moins elle l’était, pour moi. Elle avait fait tellement de choses pour m’aider que je n’aurais jamais pu la remercier assez…

Je souris un peu, réfléchissant à ce qu’elle m’avait dit un peu plus tôt et, au final, je continuais d’espérer que sa réponse soit celle que j’attendais… Je voulais qu’elle soit sincère mais, dans un autre sens, je voulais tellement qu’elle réponde à mes sentiments et qu’elle comprenne que, si ça ne tenait qu’à moi, je nous considérais déjà comme un couple depuis le début…

Le sentiment que j’avais ressentis lorsqu’elle m’avait dit le vouloir était… assez étrange. Quelque part, c’était comme un soulagement… mais je ne cessais une nouvelle fois pas de me questionner sur l’avenir de cette relation naissance. Je ressentais donc une sorte d’épanouissement sans réellement être capable de placer des mots sur cette sensation. J’aimais Junho, je le lui avais avoué, elle me l’avait avoué en retour et, désormais, nous nous définissions comme un couple alors que nous n’avions rien vécu ensemble… Enfin, rien de sentimental.

Dans le fond, cette impression de ne rien avoir vécu était-elle justifiée ? N’avions nous pas déjà connu des choses importantes pour l’un comme pour l’autre ? Je n’arrivais pas à faire le point ou, du moins, je le faisais difficilement. Pourtant, je voulais me convaincre que je n’étais pas en train de m’engager dans une mauvaise voie avec elle et, pour cette raison, je tentais de me convaincre que nous avions effectivement vécu des choses importantes ensemble.

Lorsqu’elle vint poser ses lèvres sur les miennes, je finis par me dire que les choses étaient effectivement bien différentes de ces impressions que j’avais eues. Quelque part, elle venait de me confirmer la véracité de nos propos, mais surtout des siens… c’était peut-être naïf, mais j’avais envie de croire que ce simple baiser qu’elle initiait était une preuve de ce qu’elle ressentait pour moi. Je voulais réellement croire en ce que nous avions construit depuis notre rencontre, quelques mois plus tôt. Désormais, j’étais revenu pour elle et je ne comptais pas l’abandonner.

Je laissai le baiser se prolonger quelques secondes et, lorsque j’y mis fin, je la regardai sans rien dire, réfléchissant à quoi lui dire. Cependant, ce moment d’intimité semblait terminé puisque, à peine m’étais-je reculé, quelqu’un était entré dans la pièce accompagné d’un autre élève, visiblement blessé. J’adressai un vague sourire Junho comme pour lui dire de ne s’inquiéter de rien, et je m’inclinais pour m’excuser de devoir partir. J’étais appelé par mon travail et, de ce fait, je ne pouvais pas manquer à mon devoir.

Quelques secondes plus tard, je m’affairais déjà à la guérison de cet élève qui avait été emmené là par un de ses camarades. Il devait être tombé dans la forêt et s’être blessé par hasard… Mais pourquoi avait-il du se blesser à un moment aussi crucial de ma vie ? Je devais arrêter de penser à cela car, de toute façon, je devais le soigner. J’allai donc faire mon travail en essayant de ne pas oublier ce qui avait été dit aujourd’hui, même si je m’en voulais un peu d’avoir été interrompu dans ma discussion avec Junho qui allait sans doute repartir désormais.